• Les voici partis pour la ville industrieuse qui les demande, qui les espère. Eux, enfants de la terre, ils fuient cette vie simple et austère dont les crises et les guerres auront eu raison, ils s'en vont pour des horizons sans arbres où fument les usines tout à leur vacarme.

    Un plan en dollars aura fait le reste,

    aliénant le sillon et l'étable à sa vérité mécanique... toute une modernité qui bat désormais la campagne : emprunt, rendement, remembrement !

    Eux, petits parmi les petits que ces mots réduisent, délaissent l'étroit lopin et le maigre troupeau pour une vie qu'ils voient meilleure, emportant seulement le souvenir déjà lointain d'un frère ou d'un père tombé sous la mitraille et l'éclat des obus.

    Aussi viennent-ils humblement frapper à la porte d'un sous-directeur, d'un contre-maître, et sans un mot sans un soupir ils rejoignent la chaîne bruyante ou le cliquetis d'un bureau.

    Ils sont la France de demain qui oubliera d'où elle vient.

    Regrettent-ils parfois les nuances délicates d'un toit de lauze ou encore l'âcre fumée des veillées ?

     

     

     

     

     

     


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  • Marie René

        Marie, René,

       Il aura suffi que je passe devant cette maison claire pour que vous sortiez des limbes de l'incertain : ces volets clos surannés de vert, cette tuile rouge comme l'Espagne qu'elle porte, vos prénoms enchaînés vers une destinée ascendante, tout m'incitait à m'arrêter devant "chez vous". J'ai donc pris comme gêné cette unique photo, comme si vous y étiez encore : vos lettres de fer n'étaient-elles pas encore là pour me le rappeler ?

       Pourtant je regrette ma précipitation à cet instant-là, dont j'aurais voulu qu'elle ne fût pas au détriment de la qualité de l'image : en me plaçant face à la fenêtre, j'aurais à l'évidence évité le léger déport des lignes de fuite que maintenant j'observe et je déplore... Dois-je revenir avant qu'il ne soit trop tard ? A vrai dire, je ressens planer une menace sur cette façade que vous auriez voulue immuable : son ravalement aura lieu, tôt ou tard, dans six mois, dans dix ans. Et avec disparaîtront vos quelques marques.

       Si je m'adresse à vous aujourd'hui, c'est justement que je ne saisis pas bien la raison de votre démarche. N'y voyez pas là une quelconque ironie de ma part ou un amusement de passage, non, je suis simplement troublé et je vous saurais gré d'accepter ces quelques hypothèses...

       En vous affichant de la sorte, proclamiez votre bonheur à la face du monde ? Vouliez-vous lier indéfectiblement votre destinée à celle des murs, par delà le temps et la mort ? Cherchiez-vous à faire se confondre la maison physique avec la maison symbolique, la famille, la maisonnée ? Etiez-vous mûs par un élan d'amour protecteur, si par exemple ces prénoms n'eussent pas été les vôtres mais ceux de vos enfants ; mais alors à qui je m'adresse ?

       Certes vous avez ancré votre lien dans la pierre, mais vous n'échappez pas aujourd'hui à une forme d'anonymat que vous n'aviez peut-être pas envisagée : ces prénoms qui sonnaient en vous telle une évidence, que signifient-ils aujourd'hui ?

       Dans la rue ce jour-là, personne, seulement quelques curistes qui rejoignaient leurs petits meublés. Les maisons adjacentes, toutes fermées. Quel voisin aurait-il pu me renseigner, si tenté qu'il en fût un dernier pour se rappeler quelques passages de votre modeste histoire ?

       Ainsi le mystère que vous avez su éveiller en moi se maintient-il pour quelque temps encore.

       Croyez bien en ma considération intriguée,

       Bien à vous,

                                                                                                   O.D.

     


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  •     Austère, il frémit pourtant de sa vie intérieure où s'écoule la sève comme entre les lignes d'un livre.

        Il abandonne au corbeau le privilège de sa ramure qui grandit et s'étend, quand ses racines plongent

        dans les entrailles du temps.

        Son ombre étale est le théâtre de siestes légères, d'amours secrètes,  d'embuscades et de jeux d'enfants,

        parfois c'est la mort qui vient se pendre à ses branches : il est le gardien inerte de souvenirs

        qu'il délaisse à la mémoire fragile des hommes.

        Jamais il ne pense, jamais il n'espère, tout juste il attend.

        Et quand la caresse du vent se fait morsure dans l'or et le sang, c'est un cri qu'elle lui arrache,

        une complainte, un hurlement : il est le fau et pour d'autres le fou, il est le hêtre au tronc d'argent.

     

     

     

     


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