• Roches dormantes (1)

     Hêtres et pins, roche dormante

     

     

      En se promenant dans les sous-bois pentus de la haute Margeride, il n'est pas rare de tomber sur un amoncellement de roches que d'épais taillis de hêtres et de pins semblent garder comme un secret ; parfois ce sont d'âpres buissons de genêts qui s'en mêlent.

     La rencontre se fait, abrupte et inattendue, telle un souffle trop longtemps retenu et qui soudain se libère. A l'effet de surprise succède pourtant bien vite l'indicible emprise qu'exercent ces êtres de pierre : ils semblent ne pas dormir, ils vous regardent, ils vous surveillent.

     Et comme pour ne pas déranger ce sommeil de cristal, vous gravissez leur échine rugeuse avec la plus grande des attentions, les sens en éveil et le coeur battant. Vous découvrez alors quelques cupules, petites cavités creusées dans la partie sommitale de la roche : vestiges de cultes antiques ou action complice de l'eau et du vent ?


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  •  Pour autant, ces discrètes excavations, parées de lichen et de mousse, apparaissent d'autant plus nombreuses que la forme des roches qu'elles jalonnent revêt une forme éminemment remarquable : équilibres improbables et silhouettes contrariées qui se jouent tour à tour des lois de la physique et du champ fertile de l'imagination. Ici un grand-duc montant la garde, là-bas une vieille femme geignant sous le poids des ans, plus loin un gigantesque sabot abandonné par quelque géant trop pressé, et autre part une oie à l'attitude bien menaçante... Curieuse communauté d'êtres et de choses difformes essaimés dans le paysage austère, figés par quelque impénétrable sortilège.

     Juché sur ce qui vous semble être plus vivant que mort, le silence vous paraît soudain plus dense, les mille bruits du sous-bois se taisent, et vous jetez dans l'ombre un regard inquiet. Que pourrait surgir d'entre les arbres, qui vous épie ? Vous saisissez alors que votre monture de pierre sera votre inexpugnable sentinelle.

    Pourtant jamais elle ne s'anime, jamais elle ne parle : seule son indicible présence finit par chasser les peurs séculaires d'en vous-même. La forêt finit par s'arracher à sa menaçante pénombre.


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  •  Et dans un sentiment partagé de regret et de plénitude, vous prenez la décision de quitter votre étrange compagne non sans porter sur elle un dernier regard, empli de questions : "t'arrive-t-il de t'éveiller aux heures où le réel se joint au rêve, où la légende caresse l'histoire, en ces lieux où semblent converger les lignes du temps ? De quelles pépipéties, de quels exploits, abreuvas-tu l'imaginaire des hommes ?"... Les veillées enfuies ne sont plus là pour nous le rappeler.

     Peu importe finalement, l'origine de ces cupules et autres discrets stigmates : à l'ombre épaisse, effleurant du bout des doigts l'épiderme du granite, parmi ce silence obscur grouillant de vie, on ressent la relation profonde qui unit autrefois l'homme à la nature : symbiose de l'animal et du végétal, de l'organique et du minéral.

     A la fois vivant et mort, comme faisant partie d'un tout.


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