•  C'est en rais d'argent que le jour s'efforçe d'adoucir mon visage de pierre. Mais mon âme demeure

    désespérément de glace, livrée à tous les tourments dans un hiver sans fin.

     J'avais pourtant navigué haut et loin, doublé des caps, franchi des brisants, humé les couleurs de terres

    inconnues qui se couvraient d'or quand Phébus terminait sa course.

     Et foulant ces îles d'un pas serein, je savourais sans crainte tous les plaisirs, parcourant sans relâche

    les territoires de la vie : je riais je pleurais je luttais ou j'aimais, me donnant aux autres comme ils

    s'offraient à moi. J'étais riche alors de mes certitudes, mais aussi de mes doutes, car c'est d'un coeur

    vaillant que j'empruntais les chemins du hasard.

     Mais un jour, venant de quelque continent du passé, surgirent de bien sombres nuées, gagnant à leur

    noirceur mes vastes et nobles contrées. Plaines fertiles ou vallons riants se voilèrent de peur, je

    n'entendis bientôt plus que l'écho sinistre de mes vilains cris : c'était le bonheur qui fuyait

    inexorablement sous les coups de boutoir de ma propre folie.

     Adieu, espoirs de conquêtes, horizons précieux, adieu, aussi, nuits étoilées et rêves en partage !

    L'angoisse régnait dorénavant en moi comme un monarque sans vertus écrase son valet.

     Et c'est depuis qu'en vain, emmuré en mes propres frontières, je livre le dérisoire combat de mes forces

    contraires : à ma fontaine tarie je pleure sans larmes les jours lointains

    où je m'exposais sans peines à de douces lumières.

     Puissent un jour les rais d'argent me venir en aide...


    2 commentaires
  • Il est non loin d'ici une contrée perdue, parcourue de forêts profondes, frissonnant de la multitude des murmures qui couvent et se tapissent à l'ombre épaisse des frondaisons, et sur laquelle le temps n'a d'autre emprise que le rythme immuable des saisons : quand on y pénètre, on ne saurait dire si c'était hier, aujourd'hui ou bien demain...

    En s'enfonçant toujours plus loin dans ce dédale végétal, le promeneur égaré y peut découvrir, à l'éclat soudain d'une clairière ou peut-êre d'un rêve, un mur austère que transperce une grille de fer. Ici, la forêt amadouée par quelque indiscernable raison ne se livre pas pour autant comme un jardin, elle conserve tout son mystère : elle est en son centre ceinte de pierre.

    Le regard du curieux, du solitaire, qui parvient un jour à en trouer le voile, perçoit un autre mur, une autre enceinte : c'est une haute demeure enchâssée telle un secret dans un écrin de songes.

    Qu'y trouverait-on si d'aventure il était possible d'en franchir les paupières closes ? Devrait-on dans la pénombre des voûtes soulever le couvercle d'un lourd coffre de chêne, faudrait-il entrouvrir une porte tout au fond d'une galerie incertaine ? Aurait-on à se glisser furtivement à l'intérieur d'un cercueil de verre ?

    Et moi, fugitif d'un autre monde combien plus âpre et cruel, n'y viendrais-je pas puiser à la source éternelle de ma propre enfance ?

     


    2 commentaires